Chapitre 17

 

Nous suivîmes Anthony jusqu’au parking. Sa voiture était une limousine rallongée noire. Dès que nous en approchâmes, je serrai la main de Tate, mais lui aussi l’avait senti.

— Qui d’autre est là ? demanda-t-il en s’arrêtant à quelques mètres de la voiture.

Anthony saisit Tate au moment où les portières s’ouvrirent pour laisser sortir plusieurs vampires. L’un d’entre eux aida Anthony à contenir Tate et un autre me tira violemment par le bras. Ce geste me fit comprendre en une fraction de seconde qu’ils ne savaient pas qui j’étais. Si cela avait été le cas, le type m’aurait accueillie avec une arme à la main.

— Ne nous faites pas de mal, pleurnichai-je.

Ils n’étaient que quatre, sans compter Anthony. Deux d’entre eux étaient des Maîtres, mais pas spécialement puissants. J’en déduisis qu’ils formaient la garde rapprochée d’Anthony lorsqu’il sortait. S’il s’était agi d’un piège, ils auraient été plus nombreux.

Tate tourna son visage vers moi. Ses yeux étaient redevenus clairs.

— Je vais monter dans la voiture, pas la peine de me pousser, aboya-t-il en repoussant les mains qui le retenaient prisonnier.

Anthony ne le lâcha pas, mais il hocha la tête en direction de l’autre homme qui ouvrit la portière en s’inclinant avec un air sarcastique.

— Après toi.

J’envoyai un message mental à Bones pour lui dire de ne rien faire et de laisser ces brutes nous mener jusqu’à Hykso. C’était un coup de dés, car je ne savais pas où il était ni s’il pouvait m’entendre. Après tout, je ne pouvais pas vérifier la qualité de la réception, comme sur un téléphone portable.

Je courbai les épaules et me précipitai derrière Tate en laissant la peur suinter de mes pores, un truc très utile que j’avais travaillé au cours des dernières années. Pour un vampire en position de contrôle, c’était le doux fumet de la victoire.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je d’une voix tremblante tout en évaluant la puissance des cinq hommes dans la limousine.

Ils ne m’avaient pas fouillée, ce qui n’était pas très malin de leur part. J’avais deux couteaux collés en haut de mon dos, et les talons de mes chaussures n’étaient pas en bois.

— On est en train de se faire enlever, répondit Tate d’une voix froide alors que la voiture démarrait en trombe. Ne t’en fais pas, c’est contre moi qu’ils en ont.

Anthony sourit de toutes ses dents et donna un coup de coude à son compagnon le plus proche.

— Tu te rends compte de la chance qu’on a d’être tombés sur un membre de la lignée de Bones à la fête ? Patra va être folle de joie !

L’autre vampire ne partageait pas l’entrain d’Anthony. Il m’étudia du regard avec attention. Ce sera le premier à mourir, décidai-je sur-le-champ. Un cérébral, c’est tout ce qui nous manquait.

— Et sa copine aux yeux gris et aux cheveux roux ? Tu n’en as pas parlé.

Il avait quelque chose dans la main, et je poussai un bêlement de terreur lorsqu’il le pointa dans ma direction, comme l’aurait fait toute personne normale.

Un pistolet. Bon, une balle serait moins douloureuse que des flammes, cela ne faisait aucun doute. Tant qu’il ne visait ni ma tête ni mon cœur, je m’en remettrais.

Anthony gloussa comme si on venait de lui raconter une blague.

— Décidément, Kratas, je ne comprendrai jamais pourquoi Patra t’a affecté à mes côtés. Ce n’est pas la vraie, bien sûr. Tate aime les jeux de rôle. Il a un faible pour la vraie Faucheuse, tout le monde le sait. Je garderai peut-être la rousse quelque temps. Elle n’a aucune importance et Patra n’en aura pas besoin.

Le regard dont Kratas gratifia Anthony était si blasé que les autres vampires se firent soudain plus attentifs.

— Si Patra m’a affecté à vos côtés, c’est parce que c’est votre queue qui vous sert à tous de cervelle. Pour ma part, je ne vois pas en quoi on a de la chance d’être tombés sur ces deux-là.

Cette réponse sembla ramener Anthony sur terre. Il m’observa plus attentivement. Puis il secoua la tête.

— Ses cheveux sentent la teinture, il y a du bleu dans ses yeux, et sa peau… elle ne brille pas du tout, sans compter qu’elle n’a pas de tatouage. De plus, tu aurais dû les voir quand je suis arrivé à la fête foraine. Ils n’arrêtaient pas de se bécoter. Bones ne laisserait pas sa femme batifoler avec le plus jeune membre de sa lignée.

Kratas me lança un nouveau regard dur.

— Ce serait une perte de temps de l’hypnotiser pour l’interroger, marmonna-t-il comme s’il se parlait à lui-même. Si elle n’est pas la Faucheuse, elle criera son innocence, et si elle l’est, elle criera aussi son innocence, vu qu’il paraît que les pouvoirs des vampires n’ont pas d’effet sur elle.

Un vampire brun haussa les épaules.

— Alors tue-la, elle ne vaut pas la peine que nous prenions le risque.

J’émis un petit cri effrayé de circonstance tout en me préparant mentalement au combat. Mais Kratas secouait déjà la tête.

— Et risquer de perdre l’otage le plus précieux que nous avons jamais eu ? Non.

— J’ai une idée, dit un autre vampire. Demande-leur de baiser. S’ils refusent, ce sera la preuve que c’est bien la Faucheuse : lui ne prendra pas le risque de se faire trucider par Bones, et elle voudra rester fidèle à son mec.

Tate émit un gloussement incrédule alors que je serrais sa main dans la mienne.

— Allons, les gars, vous croyez que je serais d’humeur alors que la pauvre fille tremble de peur ? Non merci, le viol, c’est pas mon truc.

À mon grand désarroi, Kratas sembla tenté par cette idée. Il agita son arme.

— Et la mort, c’est ton truc ? Parce que ce pistolet est chargé de balles en argent, et toi et ta copine allez y avoir droit si vous n’obéissez pas. Tiens, on va même vous faire de la place.

Avec une bonne volonté douteuse, les autres vampires libérèrent notre banquette et se serrèrent les uns contre les autres sur celle d’en face. Tate et moi avions toute leur attention. Génial. Et maintenant ? Ils étaient à l’affût de nos moindres mouvements. Il fallait tout d’abord qu’on fasse en sorte qu’ils ne soient plus sur leurs gardes.

Tate semblait aussi déconcerté que moi. Il fallait que je fasse quelque chose, vite, avant qu’il commette un impair. Le fond du problème était que nous avions besoin d’eux pour nous mener jusqu’à Hykso. Si nous déclenchions la bagarre tout de suite, nous n’aurions aucune chance d’en prendre quelques-uns vivants, ils étaient trop nombreux. D’accord, Bones viendrait à notre rescousse, mais si jamais Tate ou moi tuions malencontreusement le seul d’entre eux qui savait où se trouvait Hykso ? C’était un risque que nous ne pouvions nous permettre de prendre.

— Je ne veux pas mourir, dis-je d’une voix tremblotante en versant quelques larmes de crocodile. On n’aurait pas dû sortir ce soir, je t’avais dit que je voulais rester à la maison !

Il ne fallut qu’une seconde à Tate pour se reprendre. À travers mes mots, je lui indiquais que nous devions jouer le jeu… pour l’instant. Juste le temps de nous rapprocher encore un peu de Hykso.

Tate me prit dans ses bras.

— Ne t’inquiète pas, bébé. Tout va bien se passer.

Puis il leur jeta un regard noir.

— Vous pouvez oublier le chrono, parce que je vais prendre tout le temps nécessaire pour la mettre en condition.

— Mets-la en condition en l’hypnotisant, rétorqua l’un d’entre eux avec impatience.

Tate poussa un grognement de dégoût.

— C’est peut-être comme ça que vous emballez les filles, mais j’ai découvert qu’un truc appelé « préliminaires » marchait également très bien.

— Bon, fais comme tu veux, dit Anthony. Mais arrange-toi pour que ça ne dépasse pas vingt minutes. C’est le temps qu’il nous faut pour arriver à l’avion de Hykso.

Je souris intérieurement. C’est sympa de nous dire combien de temps on a, ça nous facilite les choses pour coordonner une attaque.

Kratas agita son pistolet.

— Allez-y.

Je regardai Tate en regrettant qu’il n’ait pas les talents de télépathe de Bones. Moins de vingt minutes… Si on fait traîner les baisers et les trucs de ce genre, on y sera presque. Ensuite Bones et les autres seront suffisamment proches pour trouver Hykso, même si on tue ceux qui savent où il est. On se débarrassera de tous les gêneurs et la tournée sera pour moi. Mais tout d’abord…

Tate m’embrassa et essuya mes fausses larmes.

— Tout va bien, bébé, murmura-t-il. Imagine que nous sommes seuls. Ne les regarde pas. Pense à quel point tu aimes qu’on te touche comme ça.

Le sens de ses paroles était limpide : je devais agir comme si ce n’était pas la première fois que nous le faisions tous les deux. Ma réticence provenait en partie de ma peur. Mais pas seulement.

J’inspirai profondément. Si on m’avait dit le matin même que j’allais être forcée de passer aux choses sérieuses avec Tate, j’aurais bien ri. Pourtant, c’était exactement ce que je m’apprêtais à faire, même s’il y avait certaines limites que j’avais la ferme intention de ne pas dépasser.

Tate me donna un profond baiser, cette fois avec la langue. Je l’entourai de mes bras et passai mes doigts dans ses cheveux courts, tout en essayant de surveiller les vampires à travers mes paupières closes et en faisant semblant de réagir favorablement aux attentions de Tate.

Mais ce n’était pas le cas. Intérieurement, la culpabilité le disputait à une facette froidement analytique de mon cerveau qui me disait que nous devions nous rapprocher de notre cible. Pour l’instant, c’était la culpabilité qui l’emportait. Ce que je ressentais était bien loin d’être du désir.

Tate le savait lui aussi. Il interrompit son baiser et me regarda, ses yeux bleus mêlés de vert. Je savais qu’il comprenait que cela ne me faisait rien, tout comme les autres vampires.

Kratas fit jouer son arme. Bon Dieu ! Il fallait que je joue la comédie mieux que ça.

J’enroulai mes bras autour de Tate et je m’installai sur ses genoux en attirant sa tête vers ma gorge. Le contact de sa langue et de ses canines sur la peau sensible de mon cou me rappela Bones, et j’en eus la chair de poule. Je cambrai le dos et collai à mon tour ma bouche contre son cou. Tate frissonna, ses mains quittant mon dos pour se diriger vers mes seins.

Soudain, je me crispai. Tate se souvenait-il des deux couteaux scotchés entre mes omoplates ? Ou bien les avait-il oubliés, vu la situation extrêmement compromettante dans laquelle nous nous trouvions ?

Je lui saisis les mains et les fis glisser jusqu’à l’ayant de mon Jean.

— Ce n’est pas la peine que je me déshabille complètement devant eux, si ? demandai-je d’une voix aiguë et vulnérable.

Le regard de Tate croisa le mien. Ses yeux étaient désormais complètement verts.

— Non, bébé. Ça ira.

Il m’aida à ôter mon jean, et cela me rappela bêtement la nuit de ma rencontre avec Bones. La manière dont il avait déjoué ma tentative de séduction alors que je l’avais attiré dans un coin de forêt désert. « Tu n’allais pas baiser en gardant tous tes vêtements, hein, Chaton ? Tu n’as qu’à enlever ta culotte, ça suffira. Allez, on ne va pas y passer la nuit ! »

J’avais été gênée d’enlever mon pantalon ce soir-là, et je l’étais également à présent, dans cette limousine, mais pas pour les mêmes raisons. Cette fois mon embarras n’était pas lié à un excès de pudeur ; je me fichais que ces cinq vampires au service de Patra lorgnent mes fesses et mon minuscule string, je voulais qu’ils regardent. Ce qui me gênait, c’était que ce soit Tate qui fasse descendre mon jean le long de mes jambes ; c’était le regard empli de désir qu’il promenait sur mon corps, à tel point que j’étais à deux doigts d’abandonner cette mascarade et d’envoyer Hykso au diable.

C’est alors que quelque chose changea dans le regard de Tate. Il jeta un œil aux vampires qui me lorgnaient d’un air lubrique et sa mâchoire se crispa sous l’effet de la colère. Je faillis pousser un soupir de soulagement, même si le comportement possessif de Tate était synonyme d’ennuis ultérieurs. Mais pour l’instant, en tout cas, il eut l’effet bienvenu de lui faire reprendre ses esprits. Il m’embrassa de nouveau, mais je sentais qu’il y mettait plus de calcul, même s’il paraissait aussi enthousiaste qu’auparavant.

Les quelques regards furtifs que je lançai aux cinq vampires m’informèrent que le spectacle de mon arrière-train presque entièrement dénudé les fascinait de plus en plus. Seul Kratas semblait rester de marbre. Il avait toujours le doigt fermement appuyé sur la détente. Malgré mon irritation, je comprenais pourquoi Patra l’avait adjoint au groupe. La faculté de concentration, quelles que soient les circonstances, était une qualité appréciable. J’aurais seulement préféré ne pas être la cible.

Bien entendu, s’il avait été humain, je ne me serais pas inquiétée du pistolet qu’il pointait sur moi. Les humains tiraient beaucoup moins vite, j’aurais donc pu éviter les balles. Mais face à un vampire, je n’avais aucune chance. J’en avais fait la douloureuse expérience.

Je laissai Tate se positionner à genoux devant moi, car ainsi les vampires ne voyaient plus du tout mon dos. Il me serait bien plus facile d’atteindre mes couteaux.

— Assez de préliminaires.

Kratas tapota son arme pour souligner ses propos. À vue de nez, je pensais que nous étions à peu près à mi-chemin. Merde. Cela allait être juste.

Je criai intérieurement un message à l’intention de Bones, sans savoir s’il était assez près pour m’entendre. Je vais commencer un compte à rebours, Bones. À zéro, la fête est finie.

Cinq.

Tate arrêta de m’embrasser et commença à déboutonner son pantalon. Ses yeux étincelaient d’une lueur verte.

Quatre…

J’agrippai son épaule d’une main tandis que de l’autre, dissimulée à la vue de nos ravisseurs, je m’emparais de mes couteaux.

Trois…

Tate défit son pantalon. Il ne portait pas de sous-vêtements. Je réprimai de justesse un mouvement de recul qui nous aurait trahis. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation allait beaucoup plus loin que je l’avais prévu.

Deux…

Il se passa trois choses en même temps : je tendis le bras pour lancer mes lames ; Kratas tira et sa balle me toucha aux côtes et non au cœur car Tate, qui se tenait devant moi, l’empêchait de viser avec précision ; enfin, quelqu’un arracha le toit de la limousine.

J’aperçus Bones le temps d’une seconde, puis il me saisit pour m’évacuer de la voiture. L’instant suivant, Spade et Ian s’abattirent comme des chauves-souris infernales sur la limousine désormais décapotable tandis que Tick-Tock et Dave la percutaient avec leur propre voiture.

Les quelques véhicules présents sur la route pilèrent pour éviter le véhicule hors de contrôle. Suspendue dans les airs à quinze mètres au-dessus du sol, j’observai la scène, agrippée au bras de Bones. Alors que je me demandais où nous allions atterrir avec toute cette circulation, il plongea soudain en direction du sol.

— Dégageons ce tas de tôle de la route ! aboya-t-il.

Bones, Spade et Ian saisirent chacun un coin de la voiture et se propulsèrent dans les airs. La voiture quitta l’asphalte comme s’il lui était poussé des ailes. On entendait encore des bruits de bagarre provenant de l’intérieur de la limousine, mais ils avaient changé de nature. On aurait dit des cris étouffés, puis soudain ce fut le silence.

Quelques kilomètres plus loin, je vis un bimoteur mettre ses hélices en route. C’était certainement Hykso, et puisque nous pouvions le voir, il pouvait nous voir aussi.

Bones grogna et se dirigea droit vers l’avion, son regard émeraude éclairant la nuit.

— Tu crois qu’il réussira à décoller, Crispin ? cria Ian en adoptant une posture plus aérodynamique sans lâcher la limousine.

— Pas l’ombre d’une chance, répondit Bones avec hargne.

— On peut s’en charger. Occupe-toi de Cat, elle a reçu une balle, lui cria Spade sans même tourner la tête.

— N’y songe même pas, dis-je d’un ton brusque. Ma blessure n’a rien de grave, continue.

— C’est ce qu’on fait.

Je n’avais pas besoin d’être télépathe pour savoir que Bones était furax, mais voler comme Superman tout en portant une voiture et en poursuivant un avion n’offrait pas les conditions idéales pour bavarder.

L’appareil avança sur la piste et commença à prendre de la vitesse. Nous l’imitâmes dans une explosion d’énergie surnaturelle qui fit crépiter l’air de courants invisibles. Je fermai les yeux, non par peur, mais parce que le vent m’aveuglait presque. Les rouvrant à peine, je vis que l’avion commençait à décoller. Il nous restait cinquante mètres pour arriver jusqu’à lui.

— Maintenant ! ordonna Bones avant de me lâcher.

Une silhouette floue m’attrapa en plein vol avant que je percute le sol. Avec stupéfaction, je vis des corps être éjectés de la voiture que Bones venait de lancer sur le petit avion. Il y eut une explosion dont l’éclat brillant fut masqué par le vampire qui me posait en sécurité au sol.

— Ne bouge pas, marmonna Ian avant de se précipiter sur l’épave de l’appareil.

Je passai outre à son ordre et le suivis en vacillant, tout en tremblant étrangement. Pourquoi avais-je si froid alors que j’étais si près de l’incendie ?

Des formes enflammées rampèrent hors de la carcasse de l’avion mais furent rapidement appréhendées. Dans les flammes oscillantes, les gens qui m’étaient familiers prenaient une apparence presque démoniaque alors qu’ils évoluaient au milieu des vampires au sol. Tout fut terminé en quelques minutes et je me retrouvai soudain par terre, sans même m’être rendu compte que j’étais tombée. La balle avait dû me causer une blessure plus grave que je l’avais cru.

Bones émergea de la brume orangée. Il était couvert de sang et de suie, et sa chemise était déchirée par endroits. Il s’agenouilla près de moi.

— Ça va faire mal, Chaton, mais c’est plus rapide.

J’écarquillai les yeux tandis qu’il me maintenait au sol. Il sortit un couteau et le plongea entre mes côtes. Je ne pus m’empêcher de hurler alors qu’il enfonçait ses doigts dans la plaie toute fraîche et fouillait pour trouver la balle. Après quelques secondes qui me parurent des siècles, Bones la retira puis s’entailla la paume et apposa sa main sur mon flanc pour guérir la blessure qu’il avait agrandie. Bones s’ouvrit ensuite le poignet et l’appuya contre ma bouche. J’avalai une profonde gorgée de son sang, fermant les yeux alors que l’intensité de la douleur diminuait.

Je sentis un fourmillement là où la blessure se refermait. Je songeai alors que j’avais dû perdre connaissance quand Bones m’avait soignée de la même manière après que Max m’eut tiré dessus. Avoir la gorge arrachée m’avait rendue indifférente à tout le reste ce jour-là.

Bones retira sa chemise.

— Elle est un peu déchirée par endroits, mais au moins ça te couvrira les fesses, dit-il en me la tendant. J’ai bien peur que ton pantalon ait brûlé dans la voiture.

Son regard laissait transparaître beaucoup de choses, dont le reproche. En tâtonnant, je passai et ajustai sa chemise comme si c’était une jupe.

— Bones, je…

— Plus tard, m’interrompit-il. J’ai quelques trucs à régler avant.

— Crispin.

Ian arriva à grands pas en traînant quelqu’un par la peau du cou. Il secoua son prisonnier comme une poupée de chiffon et le jeta à nos pieds.

— Tiens, je me suis dit que tu voudrais celui-ci en vie. Charles et Tick-Tock détiennent Hykso, mais nous ne devrions pas nous attarder dans le coin. Les flics sont en route, je suppose.

— On n’a pas d’inquiétude à se faire à leur sujet. C’est l’un des avantages de son fichu boulot. Elle sort son insigne, passe un coup de fil, et ils en sont réduits à jurer et à trépigner sans pouvoir s’approcher. C’est presque drôle à voir, en fait.

En une fraction de seconde, le ton de Bones se fit cruel.

— Salut, mon pote. Tu te souviens certainement de ma femme. C’est sur elle que tu as tiré.

Le visage de Kratas était à la fois sinistre et résigné.

— J’avais comme un pressentiment, me dit-il. J’aurais dû écouter mon instinct.

— Tu sais ce que je vais faire avec cette balle ?

Le ton désinvolte de Bones ne trompa pas Kratas. Son expression montrait qu’il ne se faisait aucune illusion.

— Je vais la faire fondre et forger une lame avec une partie de l’argent ainsi récupéré. Ensuite, je te l’enfoncerai dans toutes les parties du corps, sauf dans ton cœur.

Bon Dieu, il y avait des moments où Bones m’effrayait.

— Tu vas le stocker avec Max ? demanda Ian sans se soucier le moins du monde du sort douloureux qui attendait Kratas.

— Non. On verra plus tard. Installe-le dans le camion pour qu’on puisse partir.

Les deux semi-remorques qui se garèrent près de nous ressemblaient à n’importe lequel de ceux que l’on voyait sur les routes. Extérieur sale, rayures sur les ailes, même les chauffeurs étaient des caricatures de routiers. De plus, à première vue, les remorques ne contenaient qu’une rangée de caisses. Bien entendu, ces dernières étaient factices. Ces caisses s’ouvraient sur un passage menant à un intérieur qui dépassait les rêves les plus fous de n’importe quelle société de transport.

— Charles, mets-toi dans celui-ci avec Hykso. Avec un peu de chance, il saura où trouver Patra. Chaton, on s’installe dans l’autre jusqu’à ce qu’on arrive à l’aéroport. Ian, tu viens avec nous ou tu rentres tout seul ?

Ian promena sur les camions un regard hautain et secoua la tête en signe de refus.

— Je vais me procurer mon propre moyen de transport.

— Prends Tate avec toi.

Ce n’était pas une requête mais un ordre. Ian haussa les épaules.

— À ta guise.

Spade fit avancer un vampire lourdement enchaîné. Les présentations étaient inutiles, c’était forcément Hykso. Il avait en effet une allure égyptienne, avec ses cheveux raides et noirs, sa peau mate et son nez caractéristique. Il riva ses yeux sur moi lorsqu’il approcha. Puis il sourit.

— Faucheuse, je suis impatient que tu rencontres ma maîtresse.

Je lui rendis son sourire glacial.

— Moi aussi, il me tarde de la rencontrer, Hykso.

Froid comme une Tombe
titlepage.xhtml
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_000.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_001.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_002.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_003.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_004.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_005.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_006.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_007.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_008.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_009.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_010.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_011.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_012.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_013.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_014.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_015.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_016.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_017.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_018.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_019.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_020.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_021.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_022.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_023.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_024.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_025.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_026.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_027.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_028.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_029.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_030.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_031.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_032.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_033.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_034.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_035.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_036.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_037.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_038.html
Frost,Janiene-[Chasseuse de la Nuit_03]Froid comme une Tombe_split_039.html